Patrick Le Lay, ghiadore de sa televisione frantzesa TF1, at isciocau sa Frantza cun d'una intrevista forte lassada a su diariu "Bretons Magazine". A unu giornalista Le Lay at cunfessau de imputare sa repubblica frantzesa de "genocìdiu culturale" contras a su pòpulu bretone in nòmene de una polìtica giacobina e centralista. Isse etotu at annantu ca s'intendet unu istrangiu. Sa limba bretone est agimai morta e cun issa s'identidade de una de sas minorias istòricas prus imprtantes de s'Europa. Custu limbagiu est galu proibbiu in iscola, in is ufitzios, in tv e in s'universidade. Su giornale L'Exspress at cumentau ca Le Lay "at perdiu sa conca" e dd'at pigau comente unu macu. Ma sa situatzione de sos bretones est de abberu posta male. Cantu tempus ddue at a colare po sa Sardinnia? Po chie cheret pubblicaus s'intrevista in frantzesu.
«En France, je suis un étranger»
PDG de la plus grande chaîne de télévision d’Europe, Patrick Le Lay n’est pourtant pas un personnage public. Il fuit les médias et les caméras. Ses interviews sont rares. Mais s’il y a bien un sujet sur lequel ce Costarmoricain de naissance accepte de s’exprimer, c’est la Bretagne. Il en profite alors pour dénoncer le jacobinisme français, le génocide culturel breton et l’acharnement dont il pense être victime avec TV Breizh. Tout en nous contant l’acte de bravoure de son père qui a sauvé la famille Drucker pendant la guerre. Entretien choc, mené à cent à l’heure.
Mardi 9 août. La Tour TF1, quai du Point du Jour à Boulogne. Je suis dans un des salons du fameux 14e étage. Le saint des saints. La charmante Dominique, son assistante, me fait patienter. Le patron de TF1 a cinq minutes de retard. Normal, il rentre de vacances. Il arrive comme une fusée. Souple, plein d’entrain, jovial. Au tennis, on craindrait son service, puissant, et son «killer instinct». A l’entretien, il n’observe aucun round d’observation. Il ouvre son jeu d’entrée. Et s’enflamme. La Bretagne l’embrase.
DC : Comment définiriez-vous votre attachement à la Bretagne ?
PL : Ça ne se définit pas. Comment pouvez-vous définir votre attachement à votre mère, vos parents, votre femme ou vos enfants ? Vous ne le définissez pas, c’est charnel. Je crois que c’est très charnel. La Bretagne, c’est votre mère, votre fille ou votre maîtresse, si vous en avez.
DC : Est-ce que c’est physique ?
PL : Oui, c’est physique. Parfois, l’expatrié que je suis éprouve forcément un manque physique. Il y a un appel. Moi, si je passe deux mois sans y aller, j’ai un problème physique. C’est comme pour la course à pied si vous la pratiquez. Si vous ne courrez pas pendant un moment, votre organisme ressent un manque. Moi, ma femme le sent. Elle me dit : il va falloir que tu ailles faire un tour en Bretagne.
DC : Vous êtes né à Saint-Brieuc, mais où avez-vous grandi ?
PL : Mes parents ont quitté Saint-Brieuc pour aller à Rennes. Très tôt. Je suis né en 1942, ils sont partis en 1947. J’ai fait toutes mes études à Rennes. Mais ma grand-mère paternelle habitait Plémet. J’ai donc passé toute mon enfance à Plémet, les week-ends, les vacances, tout le temps, jusqu’à l’âge de 14-15 ans. Plémet était avec Rennes mon lieu de vie.
DC : Votre père était professeur…
PL : Oui, mon père était centralien. Quand il est sorti de l’école centrale, c’était la grande crise économique. Il a d’abord travaillé pour les forges puis a été professeur de mathématiques et de physique au collège Saint-Charles à Saint-Brieuc un peu avant la guerre et pendant les années de guerre.
DC :Il était très attaché à la cause bretonne ?
PL :Oui. Il connaissait beaucoup de garçons qui ont été impliqués dans les mouvements autonomistes. Mais lui, avant la guerre, a fait un choix qui n’est pas celui de dire : les ennemis de mes ennemis sont mes amis. On était à une phase de l’histoire où il fallait d’abord s’occuper de l’ennemi commun qu’était l’Allemagne. Il l’avait compris avant. Donc, il n’a pas fait partie des soldats perdus de l’opprobre. Il était plutôt dans la résistance.
DC : Est-ce que vous, tout jeune, vous avez lu beaucoup de choses sur la Bretagne, baigné dans cet univers ?
PL : Dès le départ, j’ai commencé à collectionner des livres. Aujourd’hui, j’en ai plus de cinq mille. Je suis Breton dans l’âme.
DC : Vos parents parlaient-ils breton ?
PL : Non. Ma mère a été élevée à Brest. A Brest, on ne parlait pas breton. Mon père était bigouden, mon grand-père étant de Loctudy. Donc, mon père parlait le breton mais comme un intellectuel. Mais on ne le pratiquait pas à la maison. Mon père n’avait pas l’approche de la Bretagne par la langue. Il y a deux façons de marquer l’identité : c’est par la lecture ou par la langue. Mais chez nous, on ne parlait pas breton.
DC : Autre fait qui a marqué votre enfance, votre famille a sauvé la famille Drucker de la déportation…
PL : En fait, ce qui s’est passé, c’est que pendant la guerre, Monsieur Drucker, le père de Michel, était médecin en Normandie, à Domfront je crois. Quand la guerre est arrivée, il a bien entendu eu peur pour sa famille. A Plémet, il y avait un sanatorium. Il connaissait le médecin qui s’occupait de ce sanatorium, le docteur Faget. Donc, il l’a interrogé pour savoir si sa famille pouvait aller se réfugier en Bretagne. Madame Drucker, elle, avait déjà Jean – qui est mort voila deux ans – et était enceinte de Michel. Elle n’avait pas de papier, pas d’ausweis. Mon père s’est proposé pour aller les chercher à la gare de Rennes car il parlait très bien allemand. Il est donc allé chercher Madame Drucker. Il pensait sortir sans encombre mais la Feldgendarmerie les a interpellés. Mon père a réagit vite en disant : écoutez, c’est ma femme. Et quand vous commencez à vous enfoncer dans le mensonge, c’est difficile de s’en sortir. Ils ont été emmenés au poste et n’en menaient pas large. Il a commencé à dire : elle n’a pas ses papiers, mais vous comprenez elle est enceinte, les enfants, etc. Et puis un jeune officier est arrivé, un lieutenant. Mon père parlait très bien allemand. Ce jeune officier était un intellectuel, un littéraire. Ils ont commencé à discuter de Goethe, de Schiller. Mon père a senti que le problème allait se résoudre. Et en effet, au bout d’un quart d’heure, vingt minutes, mon père a dit : je peux avoir un peu de lait ou un peu d’eau pour ma femme. Du coup, l’officier a engueulé les Feldwebels qui n’avaient pas apporté ce qu’il fallait pour les enfants, a commencé à s’excuser et les a laissés partir. Et ensuite, ils se sont réfugiés en Bretagne. C’est vrai que Madame Drucker mère considérait que mon père avait quand même sauvé sa vie et celle de ses deux enfants.
DC : Vous avez donc des liens très forts avec Michel Drucker…
PL : Oui, affectifs. L’amitié est d’une autre nature. Si Michel vous en parle, il enjolivera un l’histoire ! Il dira qu’on a fait des pâtés ensemble sur la plage ! (il rigole) D’ailleurs, avec Michel, nous sommes allés il y a trois ou quatre mois faire un pèlerinage en Bretagne. Je l’ai d’abord emmené visiter TV Breizh, puis nous sommes allés à Plémet tous les deux. Et je me suis aperçu qu’il connaissait mieux Plémet que moi !
DC : Votre Bretagne d’aujourd’hui, c’est Saint-Briac ?
PL : J’ai une maison à Saint-Briac. Oui, j’aime beaucoup ce coin-là, mais par exemple pour mon dernier anniversaire – je suis né au mois de juin -, j’ai emmené mes enfants à Sainte Anne-la-Palud. Je n’avais d’ailleurs pas remarqué que Dolmen avait été tourné là. Je suis désormais d’un peu partout en Bretagne. Avec TV Breizh, je suis plus souvent dans le pays vannetais où je n’allais pas beaucoup avant. C’est beau partout, non ? Enfin, j’aime beaucoup le pays autour de Saint-Briac. On dit toujours ; quand on va dans le Finistère, c’est la vraie Bretagne. C’est vrai. Mais la Côte d’Emeraude, c’est quand même très beau.
DC : Revenons au breton. L’avez-vous appris ?
PL : Il ne faut rien exagérer (il rigole) ! Disons que j’ai un peu de difficultés avec les langues. Sauf avec l’anglais. Je lis au moins trois ou quatre livres en anglais par mois. Je connais mieux la littérature anglaise que française d’ailleurs. Il y a un certain nombre de livres où je ne sais plus si je les ai lus en anglais ou en français. Bon, en breton, j’arrive encore à peu près à lire. Le parler ! Je ne le pratique pas. J’ai un problème d’oreille donc je n’entends pas très bien les sons. Je ne le parle pas. Et pourtant, vous ne pouvez pas vous imaginer le nombre de méthodes de breton que j’ai ! Je suis toujours plongé dedans quand je peux. C’est difficile comme langue. Si je me mettais deux mois à fond, avec toutes les bases que j’ai, je parlerai breton couramment. Mais comme c’est un truc d’intellectuel, ce n’est pas grave…
DC : Vous avez déclaré vous sentir comme un étranger à Paris. Toujours ?
PL : Je ne suis pas Français, je suis Breton. Je suis un étranger quand je suis en France.
DC : Est-ce que c’est une perception différente du monde ?
PL : Oui. Mais le provincial qui monte à Paris, qu’il vienne du Pays Basque ou des Alpes Maritimes, il se rend bien compte aussi que ce n’est pas la même société. Ensuite, en ce qui me concerne, je crois avoir fait le tour de la totalité de la population parisienne, enfin ceux qui comptent, le monde des dirigeants. Et ce n’est pas la même société. Ce n’est pas la société marseillaise, rennaise, brestoise ou lilloise. Il y a quand même un décalage entre Paris et la province. Quand vous n’avez pas été élevé et nourri dans le sérail, vous vous intégrez plus ou moins bien. C’est une société très différente. Je pense que François Pinault, qui est quand même un très bel exemple de réussite et que je connais quand même très bien, vous dira la même chose que moi. Il domine cette société, mais ce n’est pas la sienne, ce n’est celle de personne d’ailleurs. Donc, il y a déjà ce phénomène qui est un phénomène provincial. Ensuite, il y a le fait que je ne suis pas jacobin, voila. C’est un crime dans ce pays de ne pas être jacobin. Je ne suis pas criminel mais fondamentalement je ne suis pas jacobin.
DC : Pourtant, les Bretons ne se cherchent pas forcément. Il n’y a pas, par exemple, de vrai lobbying breton. Pourquoi ?
PL : On n’est pas très doué pour tout ça, on est même vraiment nul. Le but du lobbying est le profit, le business. Or, les Bretons ne sont pas business. On est trop timides et on n’a pas été formé pour ça. Les Bretons ne parlent jamais d’argent. Vous avez entendu parler d’argent chez vous ?
DC : Non, jamais…
PL : Vous voyez ! Chez moi, c’était pareil. On n’en parlait jamais. Ce n’est pas qu’on en avait pas, on n’en manquait pas non plus. Ce n’était jamais un thème abordé. La Bretagne n’est pas une société de l’argent. On ne sait pas en faire même si quelques-uns en font. Mais on a été élevé avec le respect humain et on a cette timidité qui nous empêche de demander quelque chose. Il y a beaucoup de pudeur chez les Bretons. Ce qui fait qu’il n’y a pas de réseau breton.
DC : Contrairement aux Aveyronnais, aux Corses….
PL : Oui, mais attention, les Corses ne sont que 250.000, c’est plus facile. Nous, nous sommes beaucoup plus nombreux, plus de quatre millions, c’est autre chose. Mais voyez. La première chose que je vous ai demandé, c’est d’où vous veniez. Quand deux Bretons se rencontrent, que ce soit à Paris ou à l’étranger, c’est la première chose dont ils parlent. Parce qu’on partage le même amour du pays. Vous connaissez un Breton qui n’aime pas le Bretagne ? Non, hein ? Vous n’en avez jamais rencontré ?
DC : C’est vrai… Vous avez dit un jour : chaque Breton doit faire quelque chose pour son pays dans son domaine de compétence…
PL : Oui, je trouve ça important. Eh bien, vous, vous en êtes un exemple ! Moi, c’est ce que j’ai fait avec TV Breizh.
DC : Parlons justement de TV Breizh, à quel moment ce projet est né dans votre esprit ? Y a-t-il eu un déclic ?
PL : D’abord, mon domaine de compétence, c’est la télévision. C’est donc là où je pouvais réaliser quelque chose. Mais j’ai vite compris que l’administration française ne donnerait jamais d’autorisation pour faire une télévision en Bretagne. Je me suis dit : prenons le taureau par les cornes. Créons une chaîne de télévision et on verra bien ce que ça donnera. Et comme le satellite permettait de développer cela, on a créé TV Breizh. Bon, je connais bien la télévision. Je ne fais pas de littérature ni de rêves en couleur. En télévision, il faut quand même un certain budget.
DC : Mais ce n’était sans doute pas simple de proposer ce projet au conseil d’administration de TF1…
PL : Quand j’ai dit que j’allais créer une télévision en Bretagne, les membres du conseil d’administration de TF1 n’ont pas été très étonnés. Ils m’ont dit que c’est le contraire qui les aurait surpris ! C’était un projet à lancer. On allait prendre un risque, mais j’avais déjà avec moi les caisses du Crédit Agricole, qui y sont toujours d’ailleurs. Et puis, j’ai quand même fait venir des gros partenaires étrangers : Murdoch et Berlusconi. C’est quand même un beau tour de table ! Mais à part François Pinault, je n’ai pas eu beaucoup de Bretons qui ont voulu m’accompagner. Donc, on est parti avec Rozen Millin. Ensuite, il fallait la faire connaître. Mais je savais la limite du système.
DC : C'est-à-dire…
PL : La télévision, c’est l’activité qui occupe le plus les Français. Et quand les gens parlent des programmes qu’ils voudraient avoir, ce n’est généralement pas ceux qu’ils regardent. Mais voilà, ils veulent toujours donner une image positive d’eux. Ça fait quand même dix-sept ans que je vois tous le jours ce que regardent les Français, je commence à en connaître un rayon là-dessus. Mais je savais très bien aussi qu’on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre. Et puis, TV Breizh était en concurrence avec toutes les autres. Alors, le jour où il y a un gros programme sur la une, sur la deux et sur la trois, vous pouvez toujours essayer de vous incruster… De plus, le rayon de diffusion était très, très faible. Mais je me suis dit que ça allait intéresser les politiques. Et là (il tonne) : Pffft ! Nada ! Mais alors, rien !
DC : A ce point-là…
PL : Ah, si. Pour venir se montrer de temps en temps ; ils sont là. Il n’y en a qu’un seul qui m’a tout le temps aidé, qui a toujours été fidèle : Jean-Yves Le Drian. Quant au précédent conseil régional, je peux vous dire… La droite ne veut pas de nous. Alors, la gauche ! Non, c’est le service public et pas le privé ! Je n’ai pas eu beaucoup de soutien. Je m’en fiche d’ailleurs. Je ne leur demande rien aux politiques bretons. Rien ! Mais enfin, le néant à ce niveau-là, ça confine quand même à l’exploit ! Je suis allé au premier appel d’offre du numérique terrestre. J’ai pu parler en breton, j’ai fait venir Erik Orsena et beaucoup de monde, mais on s’est fait balayer, mais balayer ! Bon. Je me suis dit : ils n’ont pas changé.
DC : Ce dont vous me parlez, c’était votre premier passage devant le CSA ?
PL : Oui. Je suis passé trois fois. Après, il y a eu la fréquence de Nantes. Là, c’est quand même l’idéal. Pensez-vous ! C’est Le Figaro, journal breton bien connu quand même, qui a eu la fréquence. C’est à hurler ! Je me suis représenté une troisième fois pour le numérique terrestre, j’ai encore été black-boulé ! Donc, au bout de trois fois, si on ne comprend pas, il faut quand même être borné. Bon, la France ne veut pas. Le système administratif français, le système jacobin français ne veut pas de nous. Il ne veut pas, c’est tout.
DC : Est-ce dû au fantasme du communautarisme ?
PC : Oui. La culture bretonne n’a pas le droit d’exister. Attendez, c’est tout de même extraordinaire ! Prenez les déclarations du président de la république française sur ce que doivent être les cultures minoritaires. Pour lui, c’est une préoccupation de les défendre. Sauf que c’est en contradiction avec les jugements du conseil d’état. Mais attendez, moi je dis simplement une chose : les Bretons n’ont pas à se plaindre. Ils n’ont qu’à prendre le pouvoir. Si on veut développer notre culture, c’est à nous de le faire. Il faut prendre son problème en main. Il ne faut rien attendre de l’administration française, elle sera toujours contre. Pour en revenir à TV Breizh, s’il avait fallu que je demande les autorisations hertziennes, la chaîne n’aurait jamais existé. Elle existe grâce aux miracles de la technologie, grâce au fait que ça pouvait monter sur un satellite tout seul. Je n’avais rien à demander à personne. C’est quand même devenu un succès. On a la troisième audience des chaînes du câble et du satellite. Vous allez me dire : oui, mais il n’y a plus de programme breton…
DC : J’allais vous le dire…
PL : Si j’avais gardé les programmes bretons, c’est sûr qu’on ne serait pas devenu la troisième chaîne. Le problème, il est d’abord d’exister. Moi, je ne pouvais pas continuer à aller voir des actionnaires avec une société qui allait déposer le bilan. Il faut que j’en fasse d’abord une société rentable. Et comme elle va se développer par l’Internet haut débit, par le satellite, tout ça, je n’aurais plus besoin d’autorisation de qui que ce soit. J’existe car je n’ai pas besoin d’autorisation et malgré le fait que je n’ai jamais eu d’aide. En septembre, elle sera sortie de l’eau. Elle va exister. Et dans deux ou trois ans, je re-bretonniserai certaines choses car elle aura une audience suffisante.
DC : Mais reverra-t-on des émissions comme celles du début ?
PL : Ça ne sert à rien car ce n’est regardé par personne. Moi, ce qui m’intéresse, c’est le doublage des séries et des films. J’ai voulu aussi doubler les séries pour enfants pour que ceux qui apprennent le breton à Diwan ou ailleurs puissent avoir chez eux cette possibilité. Il ne faut pas que ce soit une langue du passé comme les Français ont considéré le breton. Il faut que ce soit une langue moderne. Et pour que les enfants pensent que c’est une langue moderne, il faut que cela accompagne des choses qui expriment la modernité. La télévision et l’Internet leur permettent de s’en rendre compte. Si les dessins animés américains ou japonais pour les petits sont doublés en breton, ça les met dans le ton. C’est pour ça d’ailleurs que Perry Mason qui est une série américaine, est doublé en breton. Dans le monde politique, il y a eu une levée de boucliers. On ma dit : vous n’allez pas vous mettre à doubler des séries américaines en breton ! Mais où est-on, là ? Vous vous rendez compte du niveau de raisonnement de ces gens-là. Il n’y en a pas un qui se pose un problème parce que France Télévision traduit en français toutes les séries américaines. France Télévisions, c’est un déversoir de films et de séries américaines. Ils sont traduits en français, langue nationale. Ça ne choque personne. En breton, ça choque tout le monde.
DC : Qu’est-ce qui peut gêner ?
PL : L’administration française est colbertiste. Elle n’a pas changé depuis Colbert. La révolution, c’est un épiphénomène dans lequel a été mis en l’air un ordre ancien. Mais l’administration na pas changé. C’est la même, elle se méfie de tous les particularismes.
DC : Au départ, c’était un pari sur le hertzien. Un pari difficile, non ?
PL : J’ai vite compris que je n’aurai pas d’autorisation. J’ai compris que depuis 1789, depuis Louis XIV, depuis Clovis, Paris n’aime pas changer, c’est tout.
DC : Est-ce que ce n’est pas aussi un problème d’homme ? Parce que c’était vous, parce que vous avez déclaré au départ ne pas croire à la TNT…
PL : (Il coupe) Du tout, du tout. Parce que c’est la Bretagne, c’est tout. Parce que le système n’en veut pas. Je pourrai vous donner le nom de politiques qui sont allés au CSA pour dire : ne leur donnez pas de fréquence. Pas des Bretons, mais aux frontières… Je n’ai pas entendu parmi les hommes politiques, en dehors de Le Drian, un seul qui m’ait dit quelque chose, qui m’ait écrit. Pas un maire, pas un député. Rien.
DC : Cela vous a surpris ?
PL : Non. Je ne suis pas fait comme ça. Je ne cherche pas les décorations. Mais encore une fois, Jean-Yves Le Drian était sincèrement abattu. C’est le président de la région ? A partir du moment où le président de la région nous aide, c’est qu’on a de bonnes relations avec le monde politique. C’est lui le porte-parole. Mais je ne comprends pas le silence assourdissant des élus bretons qui sont là pour défendre la Bretagne. Avoir un outil qui ne coûte rien au contribuable breton pour lequel ils ont si peu de respect, ça m’a quand même étonné. Ça ne m’a pas déçu, ça m’a étonné.
DC : Lorsque vous avez eu le refus du CSA pour la TNT. A quoi avez-vous pensé tout de suite ?
PL : A rien. J’en étais sûr. Je n’avais pas l’ombre d’une illusion. La dernière fois, tout TF1 était effondré. Moi, je leur ai dit : mais enfin, jamais ils ne nous la donneront.
DC : La chaîne va-t-elle continuer à s’appeler TV Breizh ?
PL : Oui. Pourquoi me dites-vous ça ?
DC : Parce qu’il y a de moins en moins de Breizh !
PL : Mais je ne peux pas vivre dans l’abstrait. TF1 est majoritaire, il faut que cette entreprise devienne rentable malgré le fait que c’est en Bretagne qu’il y a le plus faible pourcentage d’équipement en câble et en satellite. Il nous fallait d’abord une chaîne qui soit reconnue sur le plan national. Et ça, c’est fait.
DC : En ce qui concerne les autres grands patrons bretons, estimez-vous qu’ils s’impliquent autant que vous pour la Bretagne ? Je pense à Vincent Bolloré, par exemple, qui vient de rentrer avec fracas dans le monde des médias.
PL : Ils font sûrement quelque chose, ils ne sont pas obligés de le faire sur la place publique. Je n’ai aucune critique à formuler vis-à-vis de qui que ce soit. Je pense qu’ils le font sûrement d’une façon ou d’une autre. Moi, j’ai donné sur certains domaines qui sont plutôt des domaines de solidarité, de don d’un peu de soi ou d’argent, mais je n’ai pas à en faire état. Mais je fais des choses, je ne suis pas obligé de le clamer sur les toits.
DC : Justement, on sait que vous aidez Skoazell Vreizh, le mouvement de solidarité aux prisonniers politiques bretons. C’est de notoriété publique, non ?
PL : Ah, bon.
DC : Vous avez aussi engagé Arnaud Vannier à TV Breizh au moment où il était dans l’attente de son jugement lors du procès de vol d’explosifs à Pleven. Vous ne vous en cachez pas.
PL : Mais pourquoi m’en cacherai-je ? Je réprouve l’action violente parce que je trouve que ça ne sert à rien et on arrive à des extrémités comme à Quévert où il y a eu un mort. J’ignore qui a fait ça d’ailleurs. Je n’ai pas à les juger. Mais simplement, il y a des garçons qui sont dans une situation difficile, alors il ne faut pas leur en rajouter sur le dos. Des pays où on fait quatre ans de préventive sans jugement, je veux bien que ce soit des pays de droits de l’homme, mais il faut encore le prouver. Je trouve que ça fait quand même partie de la vie d’aider des gens en difficulté. Quand vous voyez comment les Français se sont mobilisés pour le Tsunami parce qu’il y avait des gens en difficulté, et bien des gens qui sont en prison ce aussi sont des gens en difficulté. Surtout quand ils sont jeunes. Alors, il faut peut-être leur donner les moyens de s’en sortir et de retrouver une vie normale. Ils ne vont pas aller s’amuser à refaire ce qu’ils ont fait. Je ne parle pas ici de Quévert bien sûr mais des autres attentats où il n’y a eu que des dégâts matériels et où ils se sont plutôt comportés comme des pieds-nicklés que comme des terroristes structurés ou rodés qui mènent de l’action violente depuis des années.
DC : Mais pourquoi y a-t-il encore des attentats en Bretagne ? Il y a forcément une raison. Laquelle ?
PL : Nous sommes un pays dont la culture a été opprimée. Et quand vous avez obstruction, il y a anarchie.
DC : Même en 2005 ?
PL : Parce que rien n’a changé. Mon grand-père était de Loctudy. C’est pas vieux un grand-père. Il ne parlait pas français. Mon grand-père était mousse pendant la guerre 14-18. Et il a appris le français à la guerre, pas à la maison mais à la guerre. Donc, je ne parle pas la langue de mon grand-père et pourtant je n’ai pas quitté mon pays. Si vous ne considérez pas là qu’il y a eu un terrorisme intellectuel, il faudra m’expliquer. Si dans une famille vous ne parlez pas la langue de vos grands-parents, c’est qu’il y a bien eu des gens qui sont venus vous empêcher de la parler. Bon, mais on ne va pas refaire l’histoire de la façon dont la république s’est comportée vis-à-vis des langues minoritaires et notamment le breton.
DC : Vous avez lu le bouquin de Michel Treguer : «Aborigène Occidental» ?
PL : Pas encore, mais vous êtes la troisième personne à me le conseiller.
Ce bouquin est remarquable, tout y est merveilleusement expliqué. Donc, il n’y a pas plus grand crime contre l’humanité en dehors de tuer les gens que de tuer leur langue. La France a procédé à un génocide culturel de la langue bretonne. C’est clair. Tout le monde le reconnaît. Il y a quand même beaucoup de parents qui ont décidé de passer par-dessus et de donner un enseignement en breton à leurs enfants. Est-ce un crime aussi d’enseigner dans la langue bretonne ? On sait très bien que celui qui apprend en même temps le breton et le français apprendra beaucoup plus facilement l’anglais que celui qui n’apprend que le français. C’est prouvé de partout. On est en 2005. Le président de la république a déclaré que l’une des grandes missions de la France était de défendre les cultures minoritaires. Et l’école Diwan ? Toute l’éducation publique est contre et le conseil d’état qui est la plus haute instance française a dit non. Il n’y a qu’un homme politique qui nous a défendu, c’est Jack Lang. Je vous dis : rien n’a changé. Et c’est même pire. Nous ne sommes ni en 1789 ni en 1810 ni en 1905. Normalement, les esprits sont ouverts.
DC : Vous voulez dire que le malaise est très profond chez certains ?
PL : Oui. De deux choses l’une : ou vous avez eu une formation et vous réfléchissez, ou vous ne réfléchissez pas et vous le sentez avec vos tripes. Les jeunes se laissent embarquer dans des affaires abracadabrantes. Ils payent. Ils payent cher. Ils se sont laissés embarquer par romantisme, par manque de réflexion, mais c’était un truc noble dans leur esprit. Je fais partie de ceux qui pensent qu’il faut les aider à se réinsérer dans la société. Ce n’est pas un crime de penser ça, je pense que c’est plutôt une bonne action. Alors, je ne m’en cache pas, c’est vrai. (Bretons magazine)